Site « NOS ENCHANTEURS »

samedi, 03 novembre 2012
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Michel Kemper le 3 novembre 2012. FESTIVAL DE PREMILHAT.

Chemise noire sur maillot marin, crinière broussailleuse poivre et sel, fleur de sel il va de soi pour ce Nantais, Jean-Guy Douceur (p.c.c. Michel Boutet), qui s’en va puiser sa portion d’émotion dans les souvenirs, les siens comme ceux d’autres que lui, à scruter la ligne d’horizon, à la devancer, à la dépasser. « Jean-Guy, la mer / C’est un coup d’vent / Dans un rêv’ de loupiot / C’est le bout d’la terre / Qui s’évanouit / Au fond d’un lit / L’trois-mâts souvent / C’est qu’un roquio. » C’est livre de photos un peu sépia, collées de mots justes, pochette à desseins faits de belles et douces aquarelles, carnet de voyages d’une rare précision. Un truc dans lequel on entre sans mal, happé, emporté, totalement séduit… Aux côtés de Michel Boutet, elle aussi de noir vêtue, aux lèvres surlignées de rouge, l’étrange et épatante Delphine Coutant, à la fois pianiste , violoniste et chœurs et coeur et contre-chant, bonne fée du chanteur…

Douceur, oui, dans un chant apaisé, mélodieux, folk-song où s’agrègent des embruns prélevés à divers rivages, comme des emprunts, au père Brassens notamment à qui Boutet rend hommage comme quand on paie ses dettes. Douceur, oui… Inclue celle de l’ortie, du chardon même, colères qui revisitent l’Histoire, comme ce putain d’Maréchal et de ces nostalgiques de l’ordre qui rêvent d’une France qui marchent au pas de l’oie. Comme cette évocation de la veuve, bascule à Charlot au bout du boulevard de monte-à-regret, étonnant catalogue éducatif d’alors qui nous revient comme boomerang, manuel de savoir-vivre… Mais douceur dans la voix, dans le geste, dans un chant qui suinte de mélancolie, parfois de regrets (mais « L’enfance, l’enfance / C’est perdu d’avance »…) qui sublime des lieux et des gens, les rend beaux : « On rentre dans un bar / Servez-moi de la belle vie / En couleurs. »

Il y a en Michel Boutet un pan entier de notre histoire contemporaine, de celle de la chanson aussi. Du Mélaine Favennec comme du Mouloudji en lui, en cette approche aimante des gens, en cette restitution chantée, précieuse et précise, d’une humanité rare. On voyage dans la tête des gens, dans leurs sentiments et leurs espoirs, leurs résignations, leurs canons de rouge où surnagent des rêves de cap-horniers. Il y a cet infini respect des gens, du temps qu’on prend, de celui qu’on perd, du travail et des grèves, de l’amitié. De l’amour. « Chanteur français entre deux âges / Recherche public en sympathie / Qui ne soit pas trop branché message / Mais pas trop quand même abruti / Et qui fasse à ses chansonnettes / Un succès mérité. »

Il y a des artistes pour qui des festivals se justifient. Rien que pour eux. Pour qui venir de loin est justifié, est mérité. Boutet est de ceux-là. On peut regretter qu’il ne hante pas nos programmations, nos festivals : pardonnez aux programmateurs qui sont souvent d’une rare inculture et ne savent pas ce qu’ils loupent. Boutet est la bouture d’une magnifique chanson, hors d’âge, d’hier et de demain. De toujours. Qui va à l’essentiel, qui nous est essentielle.